Build Back Beirut Better: précis de gestion de crise appliquée

Build Back Beirut Better: précis de gestion de crise appliquée

Article publié en 2020 sur www.communication-sensible.com
Magazine de la communication de crise et sensible | Directeur de la publication : Didier Heiderich - Publication Editeur : Observatoire International des Crises (OIC) - ISSN 2266-6575

Par Natalie Maroun

Les organisations libanaises, bien qu’habituées à l’intervention en gestion d’urgence, en médecine de guerre et de catastrophes, ont demandé rapidement un soutien et une assistance à des organisations internationales étatiques ou non gouvernementales. Le défi pour ces intervenants externes est multiple dans un contexte où l’État libanais est défaillant et ses institutions fragiles ou inopérantes. Ce contexte est rendu plus complexe par la perte de légitimité des institutions publiques ou étatiques considérées toutes ne plus être représentatives et comme directement responsables à cause de leur incompétence ou de leur négligence.

Les principes doctrines et outils de gestion de crise doivent s’adapter aux spécificités de chaque situation afin d’éviter l’erreur du mauvais diagnostic et par conséquent, d’une réponse inadaptée. Ainsi certains principes nécessaires à la gestion de la crise résultant de la double explosion ne sont pas encore inventés ou identifiés. L’avenir nous dira si on s’y réfèrera un jour, dans un retour d’expérience à venir, comme étant « les principes de Beyrouth ». Cependant, un principe reste immuable qui est celui de considérer la crise et sa gestion comme un ensemble en trois étapes (malheureusement non linéaire, ce qui signifie que la fin de la gestion d’une crise ne marque pas nécessairement la clôture d’un évènement, mais parfois contient en puissance les signaux faibles et les risques de la crise d’après).

Ce cycle peut être décrit comme suit :

- Une phase d’accumulation de fragilité (risques, aléas, ...) et qui nécessitent des mesures de gestion du risque (évitement, réduction, protection).

- Des signaux faibles nécessitant une gestion de l’incident.

- La crise avec un évènement déclencheur majeur ou résultant de l’accumulation d’incidents et qui requiert des mesures de gestion de l’urgence puis de crise.

Ce cycle vicieux ne peut être rompu que grâce à une phase de gestion post-crise basée sur un retour d’expérience approfondi et la reconstruction post-crise selon les principes du Build Back Better.

L’objet de notre article tourne autour de quelques principes à prendre en compte dans le cadre d’une démarche de reconstruction visant une amélioration de l’existant et non un simple retour à la normale ce qui est l’erreur la plus communément commise sur le principe tristement célèbre au (عفى الله عما مضى) Liban de la page tournée

Principe 1 : Do no harm

Le principe « do no harm » répond au constat que toute aide externe peut s’accompagner d’effets secondaires dus à la méconnaissance du terrain ou à un prisme idéologique. Déjà Hippocrate dans son serment s’engageait à une pas nuire en cherchant à soigner.

Partant de là, toute intervention externe (aux services publics) doit veiller à réduire l’impact potentiellement négatif de son intervention. Ainsi toute intervention voulant ne pas nuire doit prendre en compte les facteurs suivants :

1. La population des victimes est hétéroclite : beyrouthins d’origine ou de naissance, de résidence, Libanais, « expatriés », « travailleurs immigrés », ou réfugiés et s’assurer de l’égalité de leurs droits et de leur prise en charge

2. Toute la population libanaise (beyrouthine ou non) souffre depuis des mois de la dévaluation de la livre libanaise et de son impact sur le coût de la vie. Plus de 55 %[1] des Libanais vivent en dessous du seuil de pauvreté. Toute aide alimentaire doit prendre en compte ce facteur dans un pays au bord des émeutes de la farine.

3. L’aide quel que soit sa forme ne peut être bénéfique de façon durable que si elle vise la reconstruction de la vie économique et le renforcement des capacités locales. Nous pouvons ainsi déplorer la confusion actuelle entre le système politique (accusé à tort ou à raison, de corruption) et les institutions publiques qu’il convient de consolider pour ne pas dériver vers une économie parallèle, impossible à maintenir et qui garderait une vacance inexorable à son arrêt à l’instar de certaines expériences en Afrique, en Iraq ou en Afghanistan.

Principe 2 : la sécurité des personnes

Dans son rapport en 1994, le PNUD définit la sécurité des personnes comme la protection contre la force physique (se libérer de la peur) et comme les carences (se libérer du besoin).

Si ce principe apparaît comme évident à appliquer sur le terrain des conflits armés, sa nécessité n’en demeure pas moins essentielle dans le contexte socio-politico-économique libanais. L’explosion et les dégâts qu’elle a causés est une atteinte directe à la sécurité des personnes dans un État de droit à qui revient la responsabilité de la protection des biens et des personnes.

Au moment où nous rédigeons ces lignes, le principe de la sécurité des personnes demeure non atteint et en conflit direct avec le principe de la sécurité d’État qu’implique l’État d’urgence décrété par le Parlement le 13 août.

Assurer la sécurité des personnes revient à mener parallèlement la réhabilitation des bâtiments détruits et les opérations nécessaires pour libérer les Libanais en général et le Beyrouthins en particulier de la peur et du besoin : alimentaire, sanitaire, éducatif... Ainsi, toute organisation intervenant de la gestion de la crise à Beyrouth devra avoir comme principe fédérateur le respect des droits de l’homme, être à l’écoute du terrain et être redevable de transparence sur sa stratégie menée et veiller à ne pas fragiliser le lien entre les Libanais et les institutions publiques à qui revient la responsabilité de garantir la sécurité.

Principe 3 : l’appropriation locale (local ownership)

Par l’appropriation locale, nous désignons à la fois le process et la volonté d’une prise en main graduelle de reconstruction en mieux par les acteurs locaux. Ce principe est essentiel et un pré requis pour la durabilité et la visibilité de la situation post-crise.

Souvent schématisé par « help for self-help », ce principe se base sur une approche participative de la définition des priorités, des moyens et des objectifs dans une démarche de coopération soutenue. Toute ONG devra veiller à respecter son rôle de « inabler », facilitateur, et ne pas devenir faiseur, « doer ». Cela est d’autant plus complexe dans la situation libanaise que le leadership politique est absent ou court-circuité. Ainsi, à qui revient aujourd’hui la tâche de définir les priorités de cette phase de reconstruction ? Qui pourra déterminer les besoins et les hiérarchiser ? par exemple, la priorité devra-t-elle être donnée à la reconstruction rapide (avant l’automne et ses pluies diluviennes qui fragilisent les bâtiments non réhabilités) ou au respect du patrimoine architectural et culturel inestimable ?

Cette question pose in fine celle de la définition de « reconstruire en mieux ». On peut ainsi interroger l’opportunité de reconstruire les buildings avec un usage moindre du verre, matériau facilement impacté par tout type d’explosion (malheureusement non rares dans la région) et sans doute inadaptés aux taux d’ensoleillement dans le pays.Nous devons bien entendu noter l’initiative de l’Ordre des architectes libanais qui nous conforte dans l’idée que seule une appropriation locale par des institutions organisées (même non-gouvernementales) est en capacité de tenir le leadership et la vision nécessaires aux défis inédits de cette période. C’est en étant à l’écoute de ces initiatives que la coordination avec les ONG internationales pourra atteindre une action aux effets durables.

Conclusion

Selon le mythe, Beyrouth a été détruite puis reconstruite sept fois : Phénix ou Sisyphe ? La génération à laquelle j’appartiens se souvient très bien de la reconstruction après la guerre civile. Si le résultat architectural est louable, nous ne pouvons que regretter que plusieurs pierres manquaient à l’édifice de cette reconstruction post-conflit : la justice transitionnelle, la redevabilité, la préservation de la mémoire. Fallait-il raser Beyrouth pour la reconstruire ? Dans les années 90, effacer les stigmates de la guerre revenait dans une démarche semblable à la pensée magique à faire comme si la guerre n’avait jamais existé.

Construire en mieux c’est pourtant reconnaître que :

1. La situation précédente est celle qui a donné naissance à la crise ou conflit et qu’il convient de la faire évoluer.

2. Trouver une vision commune et la volonté d’y arriver.

3. Une responsabilité et une redevabilité doivent être recherchés car seules elles peuvent garantir qu’à l’avenir cela ne se reproduira plus.

Être redevable c’est s’engager à accepter les conséquences si l’objectif n’est pas atteint ou si le contraire de ce qui est planifié se produit. La redevabilité, principe préalable à la reconstruction se doit de définir qui est en charge du résultat et de ses conséquences.

En conclusion, il nous semble nécessaire que les institutions publiques soient associées aux initiatives des ONG et engagées dans une démarche de redevabilité, qui pourraient leur permettre de regagner leur légitimité sur le principe de la compétence et de l’expertise, et non de la représentativité confessionnelle, et entamer le long processus de reconstruction de l’État en mieux, en somme à l’avènement d’un nouveau contrat social.

Natalie Maroun

Photo de Nikola Johnny Mirkovic

 

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