En 2020, la guerre des Cygnes Noirs

En 2020, la guerre des Cygnes Noirs

Article publié en 2015 sur www.communication-sensible.com
Magazine de la communication de crise et sensible | Directeur de la publication: Didier Heiderich - Publication Editeur : Observatoire International des Crises (OIC) - ISSN 2266-6575

Par Natalie Maroun et Didier Heiderich

Alors que les acteurs sont centrés sur les crises de réputation, fruits de quelques tweets hirsutes, les crises de rupture se multiplient, de la viande de cheval au séisme qui secoue Volkswagen en passant par l’affaire Bygmalion en France, la crise des subprimes ou encore l’amende record de 8 milliards d’euros que devra payer BNP-Paribas à la justice américaine. Qu’elles soient technologiques, financières, boursières, écologiques, sanitaires, morales, politiques... l’ontologie des crises nous révèle que les crises de rupture sont de plus en plus fréquentes, brutales, complexes, inattendues, imprévisibles, normatives. Et d’ici 2020, la gestion de crise telle que nous la connaissons aujourd’hui sera obsolète et incapable de faire face aux Cygnes Noirs , c’est-à-dire l’imprévu, l’inattendu, l’imprévisible, le surprenant.

La complexité a pris le contrôle des systèmes et des entreprises

L’imposante croissance internationale des entreprises, la vitesse de renouvellement des produits, l’effroyable avancée des technologies, la surprenante capacité d’invention des nouveaux entrepreneurs, la modification rapide des environnements normatifs et juridiques produisent une complexité croissante dans un univers où la compétition est à la hauteur des attentes toujours plus fortes de groupes sociaux protéiformes et des pressions des marchés. La crise de 2008 qui ne s’est pas résumée aux subprimes, a démontré que certains produits bancaires avaient atteint un niveau de complexité tel que leur valeur des produits structurés était factice. L’exemple de la crise de la viande de bœuf mutée en viande cheval a révélé qu’il était nécessaire de réaliser des tests ADN sur de la viande pour en connaitre la nature avant de l’introduire dans l’alimentation. Le scandale Volkswagen a nécessité une étude réalisée par un laboratoire universitaire pour mettre en évidence la tricherie opérée par le constructeur automobile. 

Le problème que pose la complexité, c’est l’aveuglement qu’elle produit. Les services des états ou les organes de contrôle internes des entreprises ne peuvent voir que ce qu’ils regardent, ce qui signifie que les règles, normes et instruments de contrôles devraient évoluer à une vitesse équivalente à celle de la cinétique des systèmes pour savoir simplement où regarder et quoi vérifier. Or les règles et instruments de contrôle restent figés face à la vélocité des systèmes qu’ils sont en charge de réguler et de surveiller. Le bilan est simple : un candidat est élu alors que ses comptes de campagne sont truqués, des voitures polluantes circulent en masse, les états sont priés de renflouer des banques aux investissements hasardeux et les consommateurs ingèrent du cheval au lieu du bœuf.

Ce que ces crises nous révèlent tient en trois points, le premier est quelles sont de plus en plus nombreuses et surprenantes, le second c’est qu’elles produisent des ruptures violentes qui peuvent conduire à la disparition pure et simple de colosses financiers ou industriels, la troisième, c’est qu’elles échappent totalement aux modèles et canons actuels de la gestion et de la communication de crise qui sont inefficaces univers complexe.

La conformité, l’évolution normatif et les ruptures au cœur des crises

Depuis l’exemple Enron en 2001 jusqu’à la crise Volkswagen en 2015, on peut constater que les ruptures sont au cœur des crises les plus graves qui secouent l’industrie. Dans le premier cas, le géant américain de l’énergie qui réalisait un chiffre d’affaire de 101 milliards de dollars, a disparu suite à une série de fraudes parfaitement orchestrées consécutivement à la déréglementation du marché de l’énergie. Cette déréglementation a permis à Enron de devenir courtier en énergie, le seul problème c’est que la société comptabilisait immédiatement des ventes à terme de gaz ou d’électricité dont la livraison était différée mais sans comptabiliser les dépenses à venir, ce qui gonflait artificiellement les résultats de l’entreprise. Si les normes sont des contraintes, leurs vacances peuvent conduire à des irrégularités massives.

Dans le cas plus récent de Volkswagen, l’évolution des normes d’émissions de gaz couplée à la volonté de limiter les coûts des véhicules diésels afin de conserver la compétitivité du groupe est à l’origine d’une fraude massive de la part du constructeur allemand. Dans ce cas opposé à celui d’Enron, c’est le durcissement des normes qui est à l’origine de la crise.

Mais la contrainte juridique ou réglementaire n’est pas la seule normative. La normalisation par le marché est à l’origine de ruptures qui font vaciller des empires. Nous pouvons prendre pour exemple Nokia, autrefois incontournables en téléphonie mobile et qui a raté le virage des smartphones, forcé de se tourner vers d’autres marchés de la même façon qu’IBM a dû se repositionner en abandonnant le secteur des ordinateurs grands publics quelques années avant. Le géant HTC souffre également sur le même secteur. Car les consommateurs peuvent décider in fine de l’avenir d’une entreprise, quel que soit sa taille.

D’autres ruptures en cours inquiètent tout particulièrement les secteurs des services : l’arrivée massive des barbares à l'image d'Uber. Avec un modèle d’entreprise sans employé, les nouveaux barbares utilisent le capital humain et matériel de particuliers dans une compétition sans merci qui sidère les entreprises structurées conventionnellement.

Des bataillons de Cygnes Noirs en route pour 2020

D’ici 2020, nous pouvons envisager que ces scénarios de rupture se produiront de plus en plus fréquemment, jusqu’à la rencontre avec les crises du 3e type.
D’abord la désagrégation croissante des moyens de production, l’interconnexion et la complexité sous-jacente des produits et services conduisent à une multiplication des angles morts dans le pilotage d’une entreprise : la supply chain en raison de la multiplication des intermédiaires et des fournisseurs devra être l’objet de toutes les attentions. Dans ce contexte, les instruments nécessaires à la recherche de failles, voire de fraudes et de corruptions sont à faire évoluer pour permettre leur détection avant qu’elle ne deviennent massive : les services forensic ont de beaux jours devant eux, tout comme l’audit et le contrôle interne auront un rôle déterminant à jouer dans les crises à venir.

Dans la même veine, l’extrême complexité des produits et montages financiers ne concernent plus exclusivement les banques, mais procèdent également de l’industrie et les services et plus particulièrement lorsqu’elles évoluent dans un cadre international aux normes différentes que peut difficilement embrasser une direction financière et juridique. Le risque d’être incapable de voir ce qui se joue dans l’infrastructure financière d’une entreprise et de se laisser aveugler par des croyances, avec un risque proportionnel à la compression du temps qui ne libère plus l’espace suffisant à l’élaboration de stratégies financières ou encore les effets induits par le fast trading et la complexité croissante des algorithmes qui accompagne cette volonté de grignoter quelques précieuses microsecondes dans les échanges boursiers.

Tout aussi brutale, l’évolution normatif peut faire subitement tomber des secteurs entiers qui ne sont pas préparés à des changements violents qui peuvent les fragiliser, voire condamner à mort une organisation. Par exemple la fraude fiscale massive ordonnancée par la banque HSBC a contraint la Suisse à mettre progressivement fin au secret bancaire, les fromages au lait cru font l’objet d’une pression croissante et il suffirait d’un accident sanitaire déclencher une crise majeure dans ce secteur qui vie sous l’épée de Damoclès d’une interdiction. Et aucun secteur n’est protégé. Areva en a fait les frais avec l’accident nucléaire à Fukushima qui a mis un coup de frein brutal à l’industrie nucléaire civile et conduit le géant à une perte de 4,8 milliards d’euros en 2014.

A l’opposé, l’absence de normes et les carences réglementaires face à l’évolution des technologies : big data et liberté individuelle, nanotechnologies et santé humaine, etc. échappent aujourd’hui à des cadres et normes qui permettent de limiter les risques qui leur sont liées. Cette absence peut conduire - à la faveur d’une crise - à une normalisation soudaine et brutale pour des secteurs en devenir.

Le retour du Verlagssystem

Fuit d’un retour à l’ère préindustrielle et au Verlagssystem mais avec les instruments du 21e siècle, l’« uberisation » est une rupture aussi importante que l’était la révolution industrielle hier dans la structuration du salariat en auto entreprenariat . Profitant du mouvement mondial qui a déstructuré le marché du travail, fragilisé l’emploi en créant une compétition à outrance par l’utilisation d’une main d’œuvre lointaine et sous rémunérée en Chine et dans d’autres pays, de nouveaux acteurs créent de nouveaux modèles économiques permettant de valoriser des savoir-faire, et d’utiliser le capital matériel ou immatériel des individus. Uber en est un des premiers exemples, rapidement suivi par Airbnb avant une déferlante de services similaires. Si ces ruptures semblent faire appel à des savoir-faire limités (savoir conduire, entretenir une maison, faire le ménage, faire les courses), en réalité l’imagination des nouveaux barbares est sans limite et s’étend déjà au système bancaire avec les FinTech qui s’attaquent jusqu’à l’attribution de crédit et donc à des expertises de plus en plus pointues.

Enfin, il y a toutes les autres crises qui couvent et semblent en capacité de modifier la donne d’ici 2020. D’abord démocratique, avec les bruits de bottes qui accompagnent la montée des extrêmes en Europe qui peut déstabiliser un pays, voir le continent européen. Dans la même veine, le risque terroriste d’ampleur, avec les conséquences qu’il peut produire au-delà des victimes directes, notamment un climat de tension permanent, peut durablement peser sur un pays. Le risque climatique à l’origine de phénomènes sans précédent, de plus en plus violents et fréquents peut être à l’origine de ravages aux conséquences incalculables. Le danger que constitue les grandes épidémies avec une population mondiale en hausse et nomade est de plus en plus présent. Le risque financier pour les Etats, les entreprises et les citoyens est chaque jour plus important, avec des structures et des montages auxquels la crise de 2008 n’a pas mis fin : la seule différence qu’il ne sera plus possible de canaliser une fois de plus un tsunami financier car les digues étatiques sont fragilisées.

Oui, en 2020 les crises seront encore plus brutales, surprenantes et plus difficiles à surmonter, en raison d’un déficit croissant de la capacité à les gérer. Car s’il est évident que gérer une crise nécessite du discernement, pour certaines d’entre-elles, il ne suffit plus : Areva ou HTC se voient lentement mourir, et gageons que la solution se situe hors d’une cellule de crise. Ensuite et tout particulièrement dans ce que Patrick Lagadec nomme « les crises hors cadre », les fronts d’intervention, humains, sociaux, techniques, logistiques, financiers, juridiques, politiques, communicationnels, etc. nécessitent des moyens considérables qui peuvent exiger de convoquer les ressources d’Etats eux-mêmes affaiblis dans leur capacité d’action ou faire appel à des actionnaires dont le patriotisme est à la hauteur des produits dérivés auxquels ils souscrivent. Et alors que les entreprises souhaitent une déréglementation et l’affaiblissement du contrôle par les pouvoirs publics, l’amoindrissement de l’interventionnisme au profit de la seule régulation mine la capacité d’intervention des états en cas de crise.

Au-delà de l’horizon du prévisible ajoutons la capacité de plus en plus grande de remplacer l’homme par des machines intelligentes pour l’ensemble des tâches, non plus répétitive et identiques, mais similaires, subtile différence qui change un monde. Cette capacité cognitive des machines va encore s’étendre d’ici 2020 et l’alliance entre big data, intelligence artificiel et uberisation, promet des ruptures majeures protéiformes, multiples, imprédictibles, totalement nouvelles, sources de bataillons de Cygnes Noirs que devront affronter les entreprises et les organisations.

Face aux Cygnes Noirs : Changer de modèle de gestion

Interconnectées, brutales, inattendues, hors du champ des risques identifiés, les crises en 2020 se fomentent dans les vacances normatives, se camouflent dans la complexité, s’égarent dans les prétentions et les croyances. Car le propre du cygne noir, même s’ils sont légions, c’est précisément qu’aujourd’hui, personne ne sait où ils se cachent précisément. Face à ces crises de rupture, l’expertise « gestion de crise », le plan, la cellule de crise et quelques réflexes sont des modèles largement dépassés et souvent prétentieux : ce mode d’action est initialement destiné à gérer des phases d’urgence plutôt que de crise et dans des cadres connus (accidents, incendies, inondation, etc.) Prenons par exemple le très américain Incident Command System , cher aux pompiers, et redoutablement efficace en situation d’urgence pour lesquels les temporalités sont limitées, la complexité contingentée au terrain et les objectifs connus : protection des personnes, des biens et de l’environnement. On tente aujourd’hui de calquer ce système pour l’appliquer aux entreprises et organisations ceci en décalage avec leurs fragilités sous-jacentes et leur but : imaginer qu’un dispositif hiérarchisé avec une chaine de commandement conçu pour la gestion de l’urgence puisse répondre, par exemple, à une crise industrielle comme celle qu’a vécu Volkswagen en 2015 ou encore à une crise politique, sociale ou d’image est une aberration. La gestion de crise souffre ainsi de son origine militaire, la continuité d’activité de sa provenance informatique, la communication de crise de son obsession médiatique et l’ensemble d’arrogances. Le champ sémantique trouble également le jeu de la gestion de crise, notamment lorsque la confusion règne entre situation d’urgence, de crise ou sensible. Il est difficile de répondre à une situation lorsque l’on n’est pas en mesure de la qualifier. Ainsi, les acteurs font face à une surenchère sémantique jusqu’à l’absurde lorsque l’on voit la terminologie « résilience » mutée en mot-valise ou encore un acteur, évoquer une « situation room » pour quelques fenêtres ouvertes dans un navigateur web, preuve du dilettantisme des experts, plus centrés sur la commercialisation de leurs services que la nécessaire intelligence qu’exige la gestion de crise.

Car face à l’inconnu des crises de rupture, il est illusoire d’opposer du connu et de la rigidité. Ainsi les crises de demain nécessiteront de notre point de vue, une approche holistique et protocolaire plutôt que procédurale, de la capacité d’innovation et de l’ingénierie plutôt qu’une organisation pyramidale figée, de la sociologie plutôt que des éléments de langage, de l’intelligence et de l’imagination plutôt que de l’expertise, de l’investigation et du suivi par l’audit et le contrôle interne, plutôt que de l’administration.

Face à l’anormie des crises à venir, aux bataillons de Cygnes Noirs, à l’inconnu, nous pouvons gager qu’il nous faudra inventer des systèmes fondés sur de l’intelligence distribuée et satellitaire plutôt que l’ordre militaire et remplacer la notion de résilience par la transilience, c’est-à-dire la capacité de surmonter une crise, non plus par un retour à la normal, mais à une norme différente jusque dans la stratégie d’une entreprise qui devra être en mesure d’être rapidement reconfigurée.

Natalie Maroun et Didier Heiderich

Photo de Roy Muz

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