Extension de la lutte au domaine public : une approche sociologique du supportérisme sportif

Extension de la lutte au domaine public : une approche sociologique du supportérisme sportif

Article publié en 2014 sur www.communication-sensible.com
Magazine de la communication de crise et sensible | Directeur de la publication : Didier Heiderich - Publication Editeur : Observatoire International des Crises (OIC) - ISSN 2266-6575

Par Natalie Maroun

Les stades comme terrain d’étude

Avant d’être un ouvrage, « L’autre visage du supportéisme » est un colloque qui a eu lieu le 14 septembre 2012 et a réuni à l’Université de Neuchatel des chercheurs qui ont analysé des contextes géographiques différents : France, Belgique, Suisse, Croatie mais aussi Argentine et Egypte. Tous ont pris comme objet d’étude les modes d’organisation des supporteurs et « leur capacité à s’organiser, à juguler les manifestations extrémistes ou à défendre des intérêts communs vis-à-vis des clubs, des fédérations et des instances publiques ». L’autre visage du supportéisme apparaît dès lors celui des dynamiques des actions collectives et non le visage auquel s’est limitée sou-vent à tort une littérature critique qui est celle du racisme, du hooliganisme et autres phénomènes de violence.

Le spectre du hooliganisme hante pourtant l’ouvrage dirigé par Thomas Busset, Robert Besson et Christophe Jaccoud qu’il décrit depuis les années 1980 où il apparaît comme le « produit de la politique néolibérale de l’ère tatchérienne » jusqu’aux nouveaux dispositifs sécuritaires mis en place par les autorités locales et internationales pour lutter contre les fauteurs de trouble suite à la Convention européenne de 1985 « Sur la violence et les débordements des spectateurs lors des manifestations sportives et notamment les matchs de football ». Busset nous fait remarquer que paradoxalement, les mesures répressives dont l’objectif était d’enrayer les violences dans les stades sont devenues des sujets de mobilisation pour les supporters.

A l’heure où la France se prépare à accueillir le Championnat d’Europe des Nations en 2016 et dans un contexte politique complexe, cet ouvrage nous propose d’arpenter des voies peu explorées jusque-là, par une approche sociologique, « les nouvelles formes d’action collective » où la violence qui touche les stades est le symptôme de revendications « sur des objets qui concernent (les supporters) directement et, parant, défendent leur vision du football ».

Et pourtant, l’approche en sociologie politique n’entend pas limiter le supportéisme aux débordements. Les auteurs définissent un supportéisme engagé et contestataire et qui est la manifestation parfois violente et toujours collective de la modernisation du football vécue par certains groupes de supporters comme la crise que traverse ce sport. En effet, comme l’analyse Thomas Busset dans l’introduction qu’il fait, la modernisation des stades « a contribué à un processus d’embourgeoisement des tribunes et à l’éviction de certaines catégories de supporters, notamment ceux issus des classes populaires » . Si mouvements contestataires il y a, c’est au nom d’une « tradition suppor-téiste populaire » qui laisse l’extrême- droite et les mouvements « ultras » pourtant hétérogènes, investir les gradins.

L’autre visage du supportéisme analyse les conditions qui amènent des supporters parfois d’équipes rivales à se mobiliser pour des causes au-delà du soutien d’un club ou d’une équipe.

Analysant les modes d’actions des supporters, Busset distingue deux modes d’organisation : des « structures officielles et reconnues » et des « réseaux spontanés ou informels » . Seules les structures officielles ont un porte-parolat reconnu que ce soit vis-à- vis des médias ou auprès des supporters. Dans une approche communicationnelle qui est la nôtre, nous pensons qu’il y a là un véritable sujet d’étude à mener autour de la défense de certains sujets controversés (usage de la violence, affrontements avec les services de sécurité, allumage d’engins pyrotechniques, etc.)

Enfin c’est sous l’angle du militantisme et de la définition de la cause qui conduit les supporters dans un engagement politique comme « force citoyenne capable d’intervenir dans l’espace public » que Busset interroge le supportérisme. La question est en effet pour l’historien de savoir si « de tels mouvements ont la capacité à se transformer en des groupes de pression, à travers l’usage ou l’instrumentalisation de moyens, de réseaux et de soutiens divers » .

L’approche de l’historien est complétée par la contribution de Jean- Charles Basson et Ludovic Lestrelin qui tentent une « sociologie politique du supportérisme » au croise-ment entre la sociologie de l’action publique et la sociologie des mobilisations . Le slogan brandi par les supporters ultras le 13 octobre 2012 dans les rues de Montepellier « Notre passion : le football. Votre passion : le flash- ball » et que citent les deux auteurs est un exemple de la communication que choisissent les supporters afin de dénoncer la « répression abusive ». Ils s’attachent à démontrer comment les suppor-ters ultra tentent de faire valoir leur répertoire d’action collective jusqu’à transformer les tribunes des stades en « tribune(s) politique (s) ». Enfin, les deux auteurs clôturent leur contribution par une analyse de l’antiracisme comme processus d’ « ennoblissement de la cause supportériste ».

La troisième contribution est signée par Nicolas Hourcade, célèbre co-auteur du Livre vert du supportérisme » (2010) et interroge l’action collective des utras français : « par-viennent-ils à dépasser leurs antagonismes, à s’accorder sur des modes d’action et des mots d’ordre, à structurer leur lutte, à dialoguer avec les autorités susceptibles d’apporter une réponse à leurs demandes » ? Après une première tentative de définition sociologique de « mouvement ultra », l’auteur retrace l’histoire des actions collectives des ultras français qui selon lui démontre. Hourcade signe une contribution riche en exemples et en enquêtes dans laquelle il ne se contente pas de questionner la pertinence de la notion de mouvement mais cherche surtout à expliquer les raisons pour lesquelles, les ultras français peinent à se constituer en mouvement social : diver- gences et tensions, compétitions en ultras et un système sportif et politique fermé.

Du tour du monde des gradins en sept étapes que propose l’ouvrage nous retiendrons particulièrement la contribution de Chaymaa Hassabo sur les ultras égyptiens et leur rôle dans la Révolution qui a vu la chute du régime de Hosni Moubarak en 2011. En effet, le « massacre de Port Saïd » constitue un des drames les plus meutriers de l’histoire du football égyptien. Ce sont les supporters du club Al-Ahly, les Utras Ahlawy qui semblent avoir payé le prix fort de leur engagement dans les mouvements lors du Printemps Arabe dans les manifestations pour la Révolution. L’article tourne autour de deux grandes questions. La première est de savoir si la participation des supporters s’est faite au nom du groupe ou si elle n’est le reflet que d’un groupement de choix politiques individuels. En d’autres termes, au-delà de l’organisation et de la logistique dont ils étaient capables contrairement à des groupes d’étudiants moins organisés, les supporters égyptiens sont-ils des « groupes politisés » qui se sont mobilisés en « ligne de front » ?

La deuxième question est plus large et est celle de la violence et de son rapport avec le supportérisme comme produit d’une « instrumentalisation par des forces politiques cherchant à déstabiliser l’Egypte ». L’auteur cherche pourtant à contextualiser le re-cours à la violence dans un cadre spatiotemporel dans lequel d’autres groupuscules ont eu recours à la « violence révolutionnaire ».

Si la sociologie s’est beaucoup intéressée au spectacle sportif, nous pouvons regretter que celle-ci se soit souvent réduite à un phénomène : le hooliganisme. Le colloque et l’ouvrage qui en résultent ont le mérite de mener une réflexion de nature sociologique, historique et politique sur les mouvements supportéristes à partir des représentations sociales notamment autour des modernisations des stades et de l’éviction des gradins de certaines classes. En somme, une « tribune politique » entre rupture et contestation.

Natalie Maroun

Photo de Vienna Reyes

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